Milieux, ruralités et métropole - ÉNSA Versailles

La ville sans cesse - La montagne

Projet de master du 2ème semestre, encadré par Jeremy Lecomte et Thomas Raynaud

Beauregard / ©Jeremy Lecomte, 2021

Présentation

Présenté en Août 2019, le dernier rapport du GIEC (Climate Change and Land) se concentrait sur l’impact des différents types d’usage des sols sur le réchauffement climatique. Apparemment réduit à la catégorie «infrastructures», le phénomène d’urbanisation pouvait sembler étonnamment minimisé, puisque celle-ci ne comptait que pour 1% des usages étudiés. Il suffit pourtant de prendre la mesure des autres types d’usages des sols étudiés pour comprendre l’importance d’un niveau d’articulation que le rapport du GIEC paraissait masquer : qu’il s’agisse des « forêts plantées », des « forêts gérées pour la production de bois de charpente », des « pâturages extensifs » ou des « terres arables irriguées », la plupart des catégories mentionnées sont de fait également liées à l’urbanisation.
Comprendre ce niveau d’articulation, c’est comprendre ce que le sociologue et philosophe Français Henri Lefebvre annonçait dès 1970 et que de nombreux géographes, historiens, sociologues et philosophes soucieux des questions architecturales et environnementales étudient depuis plus de trente ans : l’extension, la diffusion, et le développement du phénomène d’urbanisation bien au-delà de ce que nous continuons d’appeler une ville. Que l’on s’intéresse à ce que le géographe Américain Neil Brenner nomme des «territoires opérationnels » (l’ensemble des milieux naturels en tant qu’ils sont transformés par l’exploitation de leurs ressources), à l’impact régional et environnemental du développement de métropoles telles que Chicago (William Cronon), Los Angeles (Mike Davis) ou Athènes (Maria Kaika), aux bouleversements territoriaux engendrés par l’exploitation des ressources naturelles telles que l’eau (Erik Swyngedouw) ou le pétrole (Andreas Malm), ou à l’économie des plantations en tant que milieu originel du développement du capitalisme urbain (Jason Moore), force est de constater que l’analyse du réchauffement climatique et de la crise écologique qu’il engendre est intimement liée à celle de l’urbanisation en tant que phénomène global (à la fois planétaire et totalisant).
Si la compréhension globale de ces enjeux se traduit souvent, dans le champ de l’architecture, par une approche tout aussi globale tenant de projets de planification de grande échelle (cadre dans lequel les approches systématiques initiées dans les années 1970 par des architectes tels que Constantinos Doxiadis ou Buckminster Fuller reviennent au premier plan), nous affirmons au contraire la nécessité d’une pensée et d’une pratique située de ces dynamiques. Plus proche des travaux critiques de l’architecture radicale italienne que de ces grands projets technocratiques, nous avons choisi d’observer le phénomène global d’urbanisation depuis ses marges plutôt que depuis ses centres, en nous intéressant à des milieux géophysiques dont les particularités les ont historiquement tenus à l’écart des villes. Plus proche des travaux d’enquête menés par l’équipe de Forensic Architecture depuis une dizaine d’années, nous entendons transformer, l’espace d’un semestre, les instruments de conception architecturale (dessin en plan, modélisation 3D, photographie, vidéo, texte...) en autant d’instruments d’observation, destinés à repenser ce que peuvent et ce que devraient faire les architectes soucieux de se positionner face aux multiples crises auxquelles nous sommes confrontés. Plus proche des « manifestes situés » (Sébastien Marot) de Robert Venturi, Denise Scott-Brown et Rem Koolhaas (L’enseignement de Las Vegas, New York Délire, Atlanta paysage urbain, ou La ville générique), nous entendons tirer de situations existantes autant de leçons pour une possible architecture du futur.

Donnant à la notion de site une importance capitale, nous proposons d’explorer l’impact et la forme de ce processus global d’urbanisation
sur des territoires et des situations précises, qui, parce qu’elles constituent autant de point d’articulation de ce système, constituent autant
de points d’entrée dans sa compréhension que de points à partir desquels nous pouvons envisager de le transformer. De ce point de
vue, l’effort d’analyse de l’existant que nous proposons constitue moins un refus du projet qu’un détour qui nous parait nécessaire dans son enseignement.

Nous proposons de se concentrer sur un milieu qui, pour avoir historiquement représenté lui-aussi un milieu hostile et largement inaccessible à l’établissement des villes, est plus récemment devenu un milieu de plus en plus exploité par l’homme : la montagne.

Comment habite-t-on la montagne aujourd’hui ? La montagne constitue-t-elle encore une limite à l’extension du phénomène planétaire
d’urbanisation ? Après nous être intéressés à des contextes de moyenne montagne, nous nous intéresserons cette année sur des contextes de haute montagne, où les modes d’habitat ne sont jamais que temporaires.
Des Arcs aux Ménuires, de Flaine à Tignes, et d’Avoriaz à Val Thorens, nous revisiterons notamment l’histoire du Plan neige (1963-1977), utopie moderne de démocratisation du ski et de transformation de la montagne en destination touristique de masse. De quelle modèle d’urbanisation sont héritées ces stations ? Ce modèle est-il aujourd’hui entièrement condamnable, fait d’aspirations d’une autre époque, soutenue par un plein emploi sous perfusion d’énergies fossiles bon marché faisant de la nature un espace support de plaisir pour congés payés ? Ou bien est-il possible d’en tirer des leçons qui ne soient pas entièrement de l’ordre de la condamnation ? Ces différentes stations procèdent-elles d’ailleurs du même modèle ? Ou est-il question d’une logique globale ayant engendré des modèles différents ? Que pouvons nous apprendre de cette aspiration à conquérir la haute montagne ?
C’est sur ces questions que nous engagerons la réflexion des étudiant.es qui décideront de nous rejoindre. Sans prétendre leur demander de se faire historiens, sociologues, anthropologues ou philosophes, c’est au contact de ces disciplines que nous les amènerons à reprendre et repenser l’exercice classique du relevé, le problématisant à la lumière des approches « Learning From » et « Forensic », afin de tirer de l’exploration des sites choisis autant de leçons pour de nouvelles formes d’architectures et de nouvelles logiques de projet.